J'ai délaissé ces derniers temps l'optique première du blog, à savoir partager mes aventures éditoriales (mésaventures en un mot quelquefois aussi, je l'admets.) et je m'en excuse.
Aujourd'hui, je vais tenter de vous parler d'un sujet qui m'interpelle à savoir l'adaptation de l'oeuvre littéraire.
Pour ce faire, je vais exposer le cas d'A LA CROISEE DES MONDES de P PULLMAN et tenter de démontrer en quoi l'adaptation ne rend pas forcément service à l'oeuvre.
Lorsque vous discutez avec votre entourage, pas forcément lecteur forcené, vous vous heurtez souvent à des réflexions du genre "je ne l'ai pas lu, mais j'ai vu le film", genre de remarque ultime tentant de vous placer sur un pied d'égalité, vous le lecteur et lui ou elle le spectateur.. La lecture est, il est vrai, une activité chronophage (un peu comme facebook ) et demande une certaine réceptivité qui n'est plus l'apanage d'une époque marquée du sceau de l'immédiateté et de l'abondance. Si Internet nous a facilité la vie, il faut aussi voir ce qu'il a bousculé : notre volonté d'être réactif constituant un exemple flagrant de cet homo sapiens technicus que nous sommes devenus.
Par ailleurs, en tant qu'auteur, on a parfois l'envie, le rêve, l'ambition de voir son oeuvre adaptée car cela signifierait une plus grande visibilité, une reconnaissance à laquelle on aspire tous plus ou moins. Il y a quelques années, j'avais osé envoyer Dérobade à quelques maisons de production (en vain, vous l'avez compris ! Les mauvaises langues riront de ma naïveté...Tant mieux!)
Dernièrement, j'ai décidé de m'attaquer au roman catégorisée jeunesse A LA CROISEE DES MONDES.
Il traînait sur ma pile à lire depuis plus de deux ans et j'avais vu le film,
qui m'avait globalement séduit, notamment pour la présence des daemons, ces créatures qui accompagnent les héros humains. Pourtant le visionnage m'avait laissé un arrière goût de chef d'oeuvre jeunesse surfait et l'absence de suites à venir m'avait un peu désappointé.
Bref, je commence le livre et dès le début je suis happé par la richesse de l'univers, le style de Pullman, son message philosophique. Il y est question de complots, d'un monde sur le point d'être contrôlé par le magisterium, émanation de l'église de Calvin... En tout cas, le roman n'est pas politiquement correct et ça, je ne m'en souviens pas vraiment par rapport au film. Par certains aspects de son univers uchronique (?), il plonge le jeune lecteur ou non dans un univers tourmenté. Lyra l'héroïne et son daemon Pantalaimon. se trouvent mêlés à une lutte d'influence.
Car l'intérêt du roman est justement de pouvoir être lu par les enfants et les adultes. A l'inverse du film où la petite fille occupe une place prépondérante, on trouve dans le roman des personnages fouillés, on parle de religion, de contrôle, on parle d'un couple illégitime. On parle du lien unissant l'humain au daemon.. On l'explore, on le ressent.
Très vite, le roman m'offre des points de repères importants, l'étrange Europe dans lequel la petite évolue, le royaume des ours qui n'est pas qu'effleuré, mais suggéré par touches successives, les clans des sorcières... L'intrigue se déploie lentement mais pas trop et j''apprécie ces aventures...
Le combat entre ours est amené, expliqué, justifié d'un point de vue philosophique (j'ose le terme)... le fondement de l'intrigue trouve un dénouement passionnant : on parle du péché originel. et la fin est à la hauteur du reste avec un dénouement surprenant !
Et le film ?
Je l'ai revu, il y a peu, et l'accoudoir de mon canapé a failli ne pas s'en remettre. D'emblée, le ton est donné Lyra et les gitans sont quasiment amis. Le magisterium apparaît comme le méchant dès les premières séquences. L'ordre chronologique du livre est ensuite mis à mal, des scènes importantes sont reprises comme pour insuffler un côté épique à un scénario palichon, convenu, des rebondissements sont modifiés, édulcorés (un enfant ne peut pas mourir dans un film !).
L'origine de la déchéance de l'ours Iorek Byrnisone est modifié et perd alors son attrait par rapport à l'oeuvre originale.
Quelle différence tout de même entre un prince battu (situation vue et revue) et un ours qui en a tué un autre pour conquérir une femelle dans un monde de guerriers où l'on ne permet pas de prendre la vie !
Puis l'on assiste à une scène indigne de l'oeuvre originale à savoir l'arrivée de Lyra dans le repaire des méchants. A peine arrivée, la fillette qui ne connaît pas les lieux a un plan pour libérer les autres prisonniers.
Et enfin, déboulent les explications sur les motivations du magisterium "quelqu'un a commis une faute grave, il y a longtemps" (je vous livre la chose de mémoire), Pullman motivait l'action du magisterium par la lutte contre le péché originel, expliquant pourquoi l'église intervenait... Il ne prenait pas son public pour des demeurés.
terminons par l'ultime scène du film qui ne correspond pas au premier tome d'a la croisée des mondes.
Une trahison : un happy end...
Alors ?
on pourrait longtemps débattre sur l'adaptabilité ou non d'une oeuvre littéraire. Un film est régi par des contraintes techniques, le temps étant la plus importante d'entre elles. Néanmoins, dans le cas d'A la croisée des mondes, il semble avoir été régi par une volonté d'édulcorer le propos de l'auteur...
Ce qui est dommage.
Je pense en tant qu'auteur qu'on peut adapter toute oeuvre, l'essentiel étant de ne pas trahir le message de l'auteur, changer l'ordre chronologique est également un irrespect total.
La technologie actuelle a tellement progressé que toute créature peut s'incarner, mais ce n'est pas cela le problème. Le problème, c'est nous l'humain, nous spectateurs, nous personnes nanties d'une culture. Si nous n'allons pas plus loin que les resucées, nous ne verrons jamais d'oeuvres dignes de ce nom.
Bataillons pour que les films ne soient pas les esclaves de la technologie ou d'un codex de règles scénaristiques, bataillons pour que les films reflètent l'oeuvre.
En attendant, si vous tombez sur ce billet, n'hésitez pas à lire A LA CROISEE DES MONDES.
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