Tuesday, June 11, 2013

Simetierre, Stephen King

Simetierre : définition d'un livre exceptionnel.

On oublie trop souvent qu'un livre réussi (à distinguer d'un livre à succès) est une rencontre entre un écrivain et son lecteur. Une communion d'âmes qui s'installe et rapproche deux êtres.
La connivence opères lorsque le thème développé par l'auteur est viscéral pour celui qui le reçoit.

Simetierre est de ces livres qui parviennent à prendre aux tripes, à susciter le malaise, l'empathie, la peur, à jouer sur le registre de l'émotion en nous confrontant à nous-mêmes.
Car Simetierre est outre un roman fantastique, une formidable oeuvre exacerbant notre rapport ambigu à la mort.
Moment tragique et d'égalité humaine, la mort est là, près de nous. Il suffit d'un rien pour qu'elle nous touche et bouleverse nos vies à jamais. On se souvient tous de la première mort qui nous a affecté, celle d'un proche, d'un animal.
Dans Simetierre, King va interroger ce rapport que nous entretenons avec cet instant T fatal et ce déni qui s'empare de nous lorsque survient cette tragédie.

Un bref résumé
La famille Creed s'installe dans une belle maison en bordure d'une route fréquentée par des camions...
Mais près de la maison se trouve un cimetière animalier alimenté par les enfants des alentours, et au delà de ce Simetierre, une terre où oeuvrent d'anciens Dieux capables de ramener à la vie ceux que l'on enterre dans leur domaine.
La mort du chat de la famille va être le déclencheur d'une tragédie pire encore.

Brève analyse d'auteur
Avant de lire le roman, j'avais vu le film et je pensais qu'il se suffisait à lui-même...
Mais là où l'image suggère, montre, impose des oeillères, les mots font naître la réflexion, la pensée...

Louis Creed, médecin, représente l'archétype du rêve américain, de l'homme qui s'est réalisé par lui-même. Après des études réussies grâce à une bourse (on reconnaît le côté """"social"""" de King qui a pas mal galéré dans sa jeunesse LIRE ECRITURE à ce propos), après avoir refusé la compromission avec un beau-père friqué, Louis obtient un poste à l'université, une véritable consécration.
Deux enfants, un garçon, une fille, une femme sensuelle et aimante, il est un homme comblé qui débute une nouvelle vie.
La rencontre avec son voisin Jud lui offre un père de substitution. Un ami.
Voilà donc posé le cadre.

Pourtant cette réussite presque insolente diront certains aigris va se trouver compromise par un événement anodin : la mort du chat de la famille Church.
Au risque de dévoiler une partie de l'intrigue, je dirais que King introduit le rapport à la mort par touches subtiles. D'abord un rêve prémonitoire, une rencontre avec un esprit qui le met en garde, le refus de Rachel la femme de Louis d'entendre parler de la mort à cause d'une tragédie l'ayant affectée dans son enfance... Et enfin l'acte guidé par le principe de précaution. On castre Church pour qu'il ne se fasse pas écraser, pour le protéger de lui-même, alors que dans sa précédente maison, on l'avait laissé en paix.
Las, la mort prend toujours. Et Church se retrouve tué alors que la famille de Louis est absente.

Aidé par Jud, poussé par ce "père", Louis va tomber dans le piège dressé par des puissances obscures. Il va découvrir un lieu étrange et magique, un lieu où il sent une présence...

King introduit ensuite l'idée que le retour des morts est fondamentalement mauvais. Outre l'odeur qu'il dégage, Church n'est plus que l'ombre de lui-même. Il suscite l'effroi, le dégoût viscéral. Louis, le gentil docteur, frappe l'animal, le tient à l'écart...
Il tolère la présence de la bête en essayant de reprendre une vie normale...

Il interroge sur le cimetière et découvre quelques uns de ses sombres secrets.

Après des moments heureux avec son fils, survient la tragédie (deux chapitres antagonistes d'une terrifiante efficacité), la mort de ce petit garçon que l'on avait aussi sauvé de la mort peu de temps auparavant, ce petit garçon dont on ne pouvait envisager la disparition... Il a la vie devant lui a-t-on envie de dire.

Lorsque survient la mort de Gage, King écrit avec une efficacité redoutable. On sent l'homme impliqué, concerné. Aucun effet littéraire, juste la facilité à mettre des mots sur la tragédie, la douleur de la perte... L'homme qui s'adresse à un lecteur qui a déjà vécu ce genre de drame. Les douleurs, les rancoeurs se réveillent car une mort révèle ce que les gens ont au fond d'eux.

Et même si les forces du bien tendent à empêcher Louis de commettre l'irréparable (le don de la fille de Louis, les révélations de Rachel), le Mal parvient à l'atteindre en l'incitant à ressusciter son enfant, même s'il envisage que celui-ci revienne mauvais. là encore, il va tenter de se protéger, mais la mort l'emporte toujours.
Ce n'est pas la bêtise qui t'a fait agir ainsi Louis, c'est l'excès de douleur.
Tel un Christ sur le point d'être exécuté, Louis va voler le corps de son fils enterré, souffrir dans son chair, accomplir son chemin de croix dans les marais... La rencontre avec diverses créatures évoque l'entrée dans les cercles infernaux...



Je n'irai pas plus loin dans mon récit car Simetierre, même si vous avez vu le film, est un livre qui mérite votre lecture. Un livre qui ne vous touchera pas de la même façon que vous ayez vingt ou trente ou quarante ans... Comme Duma Key dont je vous avais parlé, je commence à penser que certains livres nécessitent outre l'empathie, une certaine symbiose qui n'intervient qu'à des âges de maturité...

En conclusion, je dirai que Simetierre est de ces livres qui restent. Un livre qui vous invite à la réflexion, à l'introspection aussi. Bref pour moi, Simetierre est un chef d'oeuvre de la littérature fantastique contemporaine.


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