Ayant apprécié cette oeuvre, je me suis empressé d'acheter son Puits de la Perversion, situé entre Boulogne sur Mer et Calais. Et c'est un coup de scalpel à l'âme que je me suis pris.
Résumé :
Ils sont trois comme la sainte trinité, mais une trinité en enfer. Trois qui ne se connaissent pas.
D'abord Orca, le flic désabusé, confronté à une justice qui ne suit pas toujours et une société en pleine déliquescence. Marié et pas heureux, une gosse mal dans sa peau, il est M tout le Monde qui a vu la société évoluer en mal depuis quelques dizaines d'années... Puis il y a Jean, le détraqué, le pervers qui sous un masque de normalité cherche à satisfaire ses pulsions les plus malsaines et enfin la jeune fille, celle dont le père abuse depuis l'âge de 8 ans. Celle qui voit le monstre venir entre ses jambes pour se satisfaire, celle qui se confie à un journal parce qu'elle ne peut se confier à personne d'autre.
Plongée en Enfer...
Le puits de la Perversion, c'est un roman pour les âmes bien accrochées, pour lecteurs avertis uniquement. Vigneron ne se complaît pas dans l'abjection, il la montre, comme elle est, trop banale. A coté de nous. Le besoin de se satisfaire prévaut pour les monstres, assumant leur normalité. L'auteur ne vient pas nous enquiquiner avec de quelconques traumatismes, comme une justification de la nuisance. Ses salauds savent ce qu'ils font, mais c'est leur façon de vivre... Jean confrontée à sa mère atteinte d'Alzheimer est un homme anodin, embêté par ce fardeau qu'il ne sait trop comment gérer et dès qu'il s'éloigne d'elle, il cherche la jouissance comme une délivrance... Raymond, l'autre pervers, veut du sexe, dominer... Il accuse son ex femme de l'avoir poussée à violer sa gosse, mais on sent la bête au fond de lui...
On atteint le comble de l'horreur à un moment clef du livre, lors d'une discussion autour d'une bière.... On croit halluciner et pourtant l'épouvante est là, tellement stupéfiante qu'on ne peut que l'imaginer bien réelle, dans nos villes, nos villages... Il y a des Raymond, des Jean...
Et en face d'eux, des victimes...
Le journal intime de la gamine violée (16 ans) m'a paru parfois trop bien écrit, mais il est surtout l'occasion de faire parler les victimes, de leur donner la parole, de ne pas se focaliser sur le criminel comme on a trop tendance à le faire quand on traite le serial killer de génie et tutti quanti. C'est crû, c'est affreux et pourtant, certaines situations éveillent en nous la compassion. Que peut-on faire pour aider ces victimes qui n'osent pas parler ? Quelles réactions ont les institutions (école) face à une gamine mutique ? A part contacter ses parents ?
Enfin il y a Orca, le flic qui tente de faire son boulot, parfois en franchissant la ligne blanche... Vigneron nous montre le quotidien de l'enquêteur, la difficulté à gérer une vie de famille dans un boulot qui vous confronte à la misère sociale... Et aussi aux prédateurs qui rôdent, convaincus de leur impunité....
Le monde de Vigneron est sombre, c'est celui de beaucoup de villes de France en 2010 où la désespérance prévaut... Bizarre comme notre époque sent les années 30....
Si le roman prend à un moment un tour fantastique borderline, on saura gré à l'éditeur d'avoir permis à l'auteur de bâtir son intrigue sur les trois parallèles. Certes, il faut quelque temps avant que les pièces du puzzle s'imbriquent plus de 70 pages je dirai de mémoire, mais ces trois parties sont purement et simplement excellentes. chacune avec leur force... Il n'y a pas d'intrigue au dessus des autres.
Puissant, évocateur, donnant la parole aux victimes que l'institution judiciaire oublie trop souvent (les dommages intérêts pour les faits moins graves ne sont souvent que des chiffres sur un jugement, n'est-ce pas ? ), le Puits de la Perversion est un ouvrage fort, le coup de scalpel à l'âme, un roman pour lecteur en quête d'émotion, de compréhension. Sa thématique, son propos vont choquer, ce bouquin fera parler de lui... Certains reprocheront à Vigneron son absence de blancheur, moi il m'a encore emballé.